1939 - 1973Événements historiques

La révolution égyptienne de 1952, une histoire appelée à se répéter ?

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Pour Abdel Fattah Al-Sissi, l’heure est à la désillusion. Le président égyptien qui rêve toujours de grandeur, tente de restaurer l’ordre dans un pays au passé révolutionnaire bien présent. L’Égypte, secouée par une importante crise sociale, politique et économique traverse une période difficile. Dans un monde marqué par de fortes tensions internationales, le raïs égyptien peine à ancrer son pays dans un élan de modernité, initié par la révolution du 23 juillet. Volontiers comparé à la figure emblématique du colonel Nasser par ses admirateurs, Al-Sissi partage avec son (lointain) prédécesseur un profond nationalisme, et espère faire de l’Égypte un pays puissant et moderne. Néanmoins, le contexte socio-politique actuel rappelle un événement bien précis qui a marqué les esprits en Égypte : la révolution de 1952.

L’inévitable coup d’État

L'Égypte, un pays "habitué" aux révolutions
L’Égypte, un pays « habitué » aux révolutions

En 1952, l’Égypte traverse une importante crise économique et sociale. L’écroulement du marché du coton et la crise du textile qui en résulte appauvrissent drastiquement la population. Les exportations de coton diminuent de moitié en un an. Cela provoque un déficit de 40 millions de livres égyptiennes dans la balance commerciale du pays. Le taux de chômage très élevé et l’endettement des particuliers font alors naître une hostilité profonde vis-à-vis du pouvoir en place.

Sous protectorat britannique depuis la fin de la Grande Guerre, l’Égypte a à sa tête le roi Farouk 1er. Son pouvoir est fortement remis en cause. Les nombreuses tensions sociales dues au manque de travail, la volonté populaire de s’émanciper de la tutelle britannique, le désenchantement exponentiel d’une monarchie jugée inefficace et corrompue accroissent l’animosité du peuple contre le régime en place.

Les choix politiques de Farouk 1er vont radicalement accélérer la volonté de changement chez certains et rendre inévitable la révolution qui aura un profond impact sur le cours de l’histoire égyptienne.

Une armée revancharde

Après une humiliante défaite en Israël lors de la guerre israélo-arabe de 1948, l’armée se dresse face au roi. Les Officiers Libres, groupe de militaires commandés par le colonel Gamal Abdel Nasser et soutenu par le général Naguib, voient en la politique royale l’une des principales causes de la défaite palestinienne, du déclin de l’armée, et de l’excessive domination anglaise.

Nasser regroupe des officiers formés à l’Académie Militaire afin de se porter au chevet d’un état agonisant. Si les Officiers Libres mènent depuis 1949 des actions clandestines contre l’impérialisme colonialiste, dont ils rêvent de libérer l’Égypte, leur désir de réforme sociale et politique du pays se dresse face à l’inefficacité de la monarchie du roi Farouk.

En juillet 1952, Farouk 1er fait part de son désir de nommer Ministre de la Guerre le général Sirry Amer. Cet officier fortement compromis dans un trafic d’armes en Palestine n’est autre que la bête noire de l’armée égyptienne. En apprenant cette décision, Nasser et ses hommes décident de s’emparer du pouvoir. Le plan révolutionnaire élaboré par les Officiers Libres en 1949, qui devait à l’origine être appliqué cinq ans plus tard, est finalement à l’ordre du jour.

La glorieuse Révolution

Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, les Officiers Libres renversent le pouvoir en bloquant les points névralgiques du Caire et en occupant l’état-major et le palais royal d’Alexandrie. Le lendemain matin, la radio diffuse la nouvelle. Le roi Farouk est contraint à l’exil, la République est proclamée avec, à sa tête, le général Naguib.

Sans effusion de sang, l’abolition de la monarchie est perçue comme une glorieuse révolution. Nasser, chef des insurgés, évince Naguib du pouvoir un an plus tard, et entreprend de nombreuses réformes sociales et agraires. L’Égypte entend alors s’inscrire dans un élan de modernité.

Animé d’un fort sentiment nationaliste panarabe, Nasser contribue à libérer le pays de la domination britannique et promeut l’identité égyptienne. Le pays se tourne alors vers le Tiers-Monde, et s’ancre dans une politique de non-alignement. Nasser assure la modernisation du pays, se positionne comme leader du monde arabe et jouit d’une très forte popularité.

Il se heurte cependant rapidement à des difficultés. Le refus des États-Unis de financer le barrage d’Assouan, l’achat d’armes tchécoslovaques, la nationalisation du canal de Suez et l’écrasante défaite de l’armée lors de la guerre de Six Jours transforment la glorieuse Révolution en un cinglant échec de la renaissance égyptienne.

L’ère Nasser aura néanmoins permis à l’Égypte de connaître une prospérité inconnue sous la monarchie. Elle aura aussi contribué à l’émergence d’un Tiers-Monde politique et économique. Mais la résonance mondiale de la politique socialiste de Nasser ainsi que sa lutte contre le colonialisme s’est progressivement ternie. Imprudence géopolitique, incompétence économique et autoritarisme populaire, la présidence de Nasser a marqué les esprits tout en laissant un héritage contrasté.

L’Égypte actuelle dans l’ombre de 1952 ?

En 2013, Abdel Fattah Al-Sissi renverse le président Mohammed Morsi et s’empare du pouvoir en Égypte. Tout comme Nasser, Al-Sissi est un farouche nationaliste, s’imposant comme l’homme fort capable de restaurer la stabilité en Égypte. Dix ans plus tard, le régime est fortement critiqué à l’international et au sein du pays.

L’Égypte traverse actuellement une crise socio-économique majeure, aggravée par la guerre en Ukraine. L’effondrement de l’économie égyptienne a entraîné près de la moitié de la population en-dessous du seuil de pauvreté. La dette estimée du pays avoisine 90 % de son PIB. D’importantes menaces politiques et sécuritaires pèsent sur l’Égypte : corruption, montée en puissance de groupes terroristes, islam politique, ou encore chômage endémique.

Al-Sissi a une vision très autoritaire dans laquelle le peuple est mené par un chef incontestable. Les protestations populaires de 2019 se sont soldées par des milliers d’arrestations. L’élection présidentielle de l’année précédente a confirmé l’impossibilité de contester réellement le pouvoir d’Al-Sissi. En effet, le seul concurrent autorisé à se présenter, Moussa Mostafa Moussa, était un (ancien) proche du président. L’absence de vitalité démocratique et les décisions économiques venues d’en haut – encourageant notamment les grands chantiers de construction – entraînent le pays dans une spirale inflationniste.

Le pays subit aussi le contrecoup des sanctions internationales imposées à la Russie. En effet, le pays dépend des importations de blé russe à 60 %. Les conséquences se font sentir sur une monnaie qui s’est dépréciée de 50 % en un an seulement. Cette tempête économique déstabilise le pays. Dessus, se greffent les revendications d’une population sans perspective positive.

L’histoire ne repasse pas les plats. Il n’est toutefois pas anodin de constater que l’Égypte souffre des mêmes maux qu’il y a sept décennies. La stabilité mise en avant par le pouvoir actuel pourrait bien n’être qu’une façade. La moindre bourrasque économique ou sociale pourrait avoir des conséquences très fortes.

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